Une partie de mon travail consiste à me tenir au courant de l’actualité juridique. Un bon avocat doit connaitre les dernières jurisprudences c’est-à-dire des dernières décisions de justice rendues par les différents tribunaux.
Malgré la crise sanitaire, les tribunaux ont rendu un grand nombre de décisions importantes : refus d’application d’accord de mobilité, preuve des heures supplémentaires ou encore vie privée du salarié. Dans ce court article nous vous proposons de passer en revue quelques-uns des arrêts pris en 2020.
Accord de mobilité
Le refus d’application d’un accord de mobilité constitue un motif de licenciement.
Par un arrêt du 2 décembre 2020, la Chambre sociale de la Cour de cassation indique, pour la première fois, que le refus d’application d’un accord de mobilité interne constitue un motif économique de licenciement par rapport aux motifs prévus à l’article L.1233-3 du Code du travail.
En cas de refus de l’application de l’accord de mobilité, l’employé s’expose à un licenciement qualifié d’autonome. Cela signifie que le seul refus de l’accord constitue un motif suffisant de licenciement. L’employeur n’a pas à invoquer de difficultés économiques, de mutations technologiques, la réorganisation de l’entreprise indispensable à la sauvegarde de sa compétitivité ou la cessation complète de l’activité de l’entreprise.
Le juge doit cependant vérifier le caractère réel et sérieux conformément à la Convention internationale du travail.
Preuve des heures supplémentaires
Précision du rôle du salarié en ce qui concerne la preuve des heures supplémentaires.
Dans un arrêt du 18 mars 2020, la Cour de cassation indique qu’il « appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments ».
La cour de cassation indique que les éléments de preuve concernant les heures supplémentaires effectuées par un employé doivent être produits par les deux parties, employé et employeur.
Si après analyse des pièces les juges du fond retiennent l’existence d’heures supplémentaires, ils évaluent « souverainement, sans être tenu(s) de préciser le détail du calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant ».
L’amour au travail
La chambre sociale de la Cour de cassation a rendu un arrêt en date du 16 décembre 2020 à propos d’une relation amoureuse dans le cadre du travail.
Une entreprise licencie un salarié pour faute grave. Elle lui reproche d’avoir posé une balise GPS sur le véhicule personnel d’une salariée de l’entreprise afin de la surveiller à son insu et de lui avoir envoyé de nombreux courriels à contenu intime via la messagerie professionnelle alors que celle-ci lui avait expressément indiqué qu’elle ne souhaitait plus avoir de contact avec lui en dehors d’un cadre strictement professionnel.
Selon le salarié, les faits relèvent de sa vie privée et ne peuvent donc être sanctionnés. La Haute Cour lui a donné raison : les faits relèvent effectivement de sa vie personnelle et ne constituent pas un manquement aux obligations découlant de son contrat de travail. Son licenciement est considéré comme abusif.
Compte privé Facebook et droit à la preuve d’un employeur
Le 30 septembre 2020, la Chambre sociale de la Cour de cassation a rendu un arrêt important concernant le droit à la vie privée d’une salariée et le droit à la preuve d’un employeur.
Une salariée de la société « Petit Bateau » est licenciée pour faute grave, notamment pour avoir manqué à son obligation de confidentialité en publiant en 2014, sur son compte Facebook, une photographie de la nouvelle collection Petit Bateau qui avait été présentée exclusivement aux commerciaux de la société.
L’employeur a pris connaissance de cette publication par le biais d’une autre salariée de l’entreprise autorisée à accéder comme « amie » au compté privé Facebook de la salariée incriminée. La salariée a estimé que la preuve était attentatoire à sa vie privée.
La Haute Cour a considéré que le « droit à la preuve peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie privée à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit proportionnée au but poursuivi. »
La chambre sociale rappelle que les juges du fond doivent mettre en balance la protection de la vie privée et le droit à la preuve, et opérer ainsi un contrôle de proportionnalité en recherchant si la production litigieuse est indispensable à l’exercice du droit à la preuve et si l’atteinte à la vie privée qui en résulte est proportionnée au but poursuivi.
Peut-on interdire une publicité pour un site de rencontre encourageant l’adultère ?
La Cour de cassation a eu l’occasion de se prononcer sur le sujet dans un arrêt en date du 16 décembre 2020.
Une société Américaine de rencontres en ligne a été assignée en justice pour avoir fait la promotion de son site via une campagne d’affichage sur les autobus à Paris et en Ile de France. Sur les affiches figurait une pomme croquée accompagnée du slogan « Le premier site de rencontres extra-conjugales ». Elle a aussi fait paraitre des articles et des annonces publicitaires dans la presse écrite et audiovisuelle.
La Cour de Cassation a répondu par la négative à la question de savoir s’il est possible d’interdire une publicité pour un site de rencontres encourageant l’adultère. Elle affirme en effet « qu’en l’absence de sanction civile de l’adultère en dehors de la sphère des relations entre époux, le devoir de fidélité ne peut justifier une interdiction légale de la publicité pour des rencontres extra-conjugales à des fins commerciales. L’interdire porterait une atteinte disproportionnée au droit à la liberté d’expression qui occupe une place éminente dans une société démocratique » et elle ajoute que « si les époux se doivent mutuellement fidélité et si l’adultère constitue une faute civile, celle-ci ne peut être utilement invoquée que par un époux contre l’autre à l’occasion d’une procédure de divorce. ».
Le droit à des nouveaux Juges devant la Cour d’appel
C’est l’histoire de grands-parents à qui un juge aux affaires familiales a accordé des droits de visites médiatisées (c’est à dire en présence d’éducateurs) sur leurs petits enfants. En effet (sauf cas particuliers) les grands parents ont le droit de voir leurs petits enfants.
Les parents des enfants concernées ont fait appel c’est-à-dire qu’ils ont demandé à la Cour d’appel de rejuger le dossier.
La Cour d’appel a confirmé le jugement rendu par le Juge aux affaires familiales.
Les parents ont formé un pourvoi en cassation.
La Cour de cassation, dans un arrêt du 1er octobre 2020 (pourvoi 12-17.922) a censuré la décision de la Cour d’appel.
Pourquoi?
Parce qu’un des magistrats de la Cour d’appel qui a délibéré dans ce dossier avait déjà connu ce dossier en première instance (c’est-à-dire devant le Juge aux affaires familiales).
Or quand vous faites appel vous avez le droit à ce que votre affaire soit confiée à de nouveaux juges c’est-à-dire des juges autres que ceux ayant déjà connu votre dossier.
C’est pour cela que lorsqu’un dossier de la Cour d’appel m’est confié, je vérifie que les magistrats ne sont pas les mêmes qu’en première instance.
Une double protection
En France, la législation protège les salariés victimes de harcèlement sexuel.
Ce type de fait est tellement grave que les salariés bénéficient d’une double protection : d’une part par le droit pénal et, d’autre part, par le droit du travail.
Une assistante se plaignait de faits de harcèlement sexuel commis par son employeur et avait, à ce titre, entamé deux procédures : une procédure devant les juridictions répressives et une autre procédure devant le Conseil de Prud’hommes.
Devant le Tribunal Correctionnel, les magistrats ont relaxé l’employeur au motif que l’élément intentionnel du délit (élément intentionnel obligatoire au plan pénal) n’était pas réuni.
La Cour d’appel saisie postérieurement au Conseil de Prud’hommes avait annulé le licenciement de l’assistante dentaire en raison de l’existence de harcèlement sexuel.
L’employeur avait alors introduit un pouvoir en cassation.
La chambre sociale de la Cour de cassation, dans un arrêt rendu récemment le 25 mars 2020 (N° de pourvoi 18-23682) a expliqué, qu’en matière de harcèlement sexuel, une relaxe prononcée par une juridiction pénale ne lie pas le juge civil.
Autrement dit, ce n’est pas parce qu’une personne est relaxée pénalement pour des faits de harcèlement sexuel, que la victime n’aura pas gain de cause devant le Conseil de Prud’hommes.
Crise sanitaire et droit à être assisté par un avocat
Le juge des référés dans un arrêt du 10 décembre 2020 rendu par le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a ordonné expressément au Préfet du Val-d’Oise de permettre aux avocats d’accompagner leurs clients dans leurs démarches auprès de la Préfecture.
Une avocate a saisi le juge des référés libertés après s’être vu refuser l’accès aux locaux de la sous-préfecture de Sarcelles alors qu’elle était venue assister ses clients dans leurs démarches relatives au droit au séjour. Le Préfet a justifié cette restriction par le contexte sanitaire et le caractère peu complexe des dossiers pour lesquels les usagers avaient été convoqués.
Le juge des référés a tout d’abord rappelé que le Préfet est habilité, dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, à interdire, restreindre ou réglementer l’accès aux établissements recevant du public lorsque les circonstances locales le justifient. Le même juge a considéré ensuite que le libre exercice de la profession d’avocat, qui implique une mission d’assistance et de conseil et le droit pour un administré d’être accompagné par un avocat dans ses démarches, constituent des libertés fondamentales.
Le Tribunal de Cergy-Pontoise a par conséquent estimé que l’interdiction faite à l’avocate d’accéder aux locaux de la sous-préfecture de Sarcelles avait porté une atteinte grave et manifestement illégale au libre exercice de la profession d’avocat et au droit des administrés d’être accompagnés lors de leurs démarches.
Article co-écrit par :
Clémence Hopsomer (Saint-Omer) –Juriste stagiaire
Juliette Clerbout – Avocat au Barreau de Saint-Omer (cabinet d’avocat situé à Arques 10 C rue Jules Guesde)
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