Bonjour,
Ces derniers jours la presse a beaucoup évoqué la condamnation de la société France télécom et de ses principaux anciens dirigeants pour des faits de harcèlement moral au travail. Je vais donc vous expliquer, brièvement, les principaux enjeux juridiques de ce dossier.
Il s’agissait d’une condamnation par une juridiction pénale (le tribunal correctionnel).
En effet le harcèlement moral est tellement inadmissible qu’il est également réprimé sur le plan pénal.
L’article 222-33-2 du Code pénal dispose en effet que « le fait de harceler autrui par des propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel, est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende. »
La peine maximale de deux années d’emprisonnement et de 30 000 euros est une peine prévue pour les personnes physiques (c’est-à-dire pour les individus).
Mais pour vraiment préserver les salariés des peines sont également prévues à l’encontre des personnes morales c’est-à-dire des entreprises, des associations, des groupements …
Dans le dossier dit « France télécom » des personnes physiques ont été condamnées mais également la personne morale c’est-à-dire l’entreprise elle-même.
Les peines prononcées contre les personnes jugées responsables du harcèlement morales sont les suivantes
Dans cette affaire deux dirigeants ont été condamnés à un an de prison, dont huit mois avec sursis, et 15 000 euros d’amende. Quatre autres responsables se sont vus infligés quatre mois de prison avec sursis et 5 000 euros d’amende. L’entreprise (donc la personne morale) a été condamnée à une amende de 75 000 euros.
(Ce jugement rendu par le tribunal correctionnel n’est toutefois pas définitif certains prévenus ayant interjeté appel, comme la loi le permet, devant la Cour d’appel. Ce dossier sera donc jugé à nouveau très probablement l’année prochaine).
Outre le cas des prévenus a également été examinée la situation des victimes.
Dans ce dossier de nombreux anciens salariés de la société se sont constitués partie civile c’est-à-dire qu’ils ont demandé des dommages et intérêts pour le préjudice subi en raison des faits de harcèlement professionnel.
Outre les anciens salariés harcelés (c’est-à-dire les victimes directes des faits de harcèlement moral) se sont également constituées parties civiles certains proches de ces victimes. (Ce sont par exemples portées parties civiles des membres de la famille de salariés s’étant suicidés suite à la souffrance importante subie au travail).
A mon sens l’apport majeur de cette décision de justice est qu’elle indique clairement que le harcèlement moral n’est pas nécessairement une situation visant le comportement d’un individu (une personne physique) vis-à-vis d’un autre individu.
Dans ce jugement ressort clairement que les souffrances au travail trouvaient leur origine dans l’organisation du travail de l’entreprise, et affectaient des salariés de manière collective.
Autrement dit le fait que de nombreux salariés se plaignaient de harcèlement moral n’effaçait pas l’infraction. Cela est important à comprendre car la défense des prévenus était notamment d’indiquer qu’il ne s’agissait pas de harcèlement mais qu’il s’agissait uniquement de mise en place de technique de management, de technique de restructuration, de modernisation …
Dans ce jugement le tribunal correctionnel a clairement expliqué que le harcèlement pouvait résulter de la mise en place d’une certaine organisation du travail visant à maintenir des salariés sous pression.
Il s’agit donc d’une condamnation prononcée pour harcèlement moral institutionnel.
Les actes rapportés tout au long des débats étaient les suivants : des pressions, des isolements, des injonctions à la mobilité (y compris pour des salariés ayant des charges de famille)
Or les moyens choisis par la société pour atteindre les 22 000 départs étaient interdits. Autrement dit une entreprise ne peut pas mettre en place n’importe quel type d’organisation du travail. Elle doit toujours veiller à respecter la santé, la dignité, la sécurité (physique et morale) de ses salariés.
Si les victimes ont obtenu réparation c’est bien évidemment parce que la justice s’est intéressée à leur affaire, à leur dossier.
Pour que la justice s’intéresse à un dossier il est nécessaire qu’elle le connaisse. Pour que la justice connaisse d’un dossier il faut l’en informer. La manière la plus simple d’aviser la justice d’une infraction est de déposer une plainte. Mais il existe d’autres manières d’agir (et ce notamment lorsqu’aucune suite n’est donnée à la plainte, quand elle est classée sans suite.) Il est par exemple possible de déposer auprès du doyen des Juges d’instruction une plainte avec constitution de partie civile. Dans le présent dossier cette plainte a d’ailleurs été déposée.
Ce dossier donne à mon sens de l’espoir aux victimes. Ce dossier démontre en effet qu’il est possible pour de « simples » salariés de réussir à gagner un procès contre une grande société cotée en bourse. Il ne s’agit donc pas, comme je l’entends malheureusement trop souvent, du pot de terre contre le pot de fer.
Je me dois de vous signaler que certaines familles de victimes (salariés s’étant suicidés) avaient déposé une plainte pour homicide. Cette qualification pénale n’a pas été retenue.
Juliette Clerbout
Avocat au Barreau de Saint-Omer
Sources principales :
https://www.la-croix.com/France/Justice/France-Telecom-jugement-contre-harcelement-moral-institutionnel-2019-12-20-1201067770
https://www.lemonde.fr/societe/article/2019/12/21/proces-france-telecom-le-harcelement-moral-institutionnel-reconnu-par-le-tribunal_6023679_3224.html
https://www.liberation.fr/france/2019/12/20/france-telecom-et-ses-ex-dirigeants-condamnes-pour-harcelement-moral_1770322
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