Comme nous le savons tous, la notion de vie personnelle et vie professionnelle au travail s’avère être une notion délicate et par conséquent il est parfois difficile d’en définir le cadre et les limites juridiques.
Petit point historique :
C’est seulement depuis le début des années 90 que le droit du travail s’est fortement intéressé aux droits de l’homme dans l’entreprise, en effet, l’idée qui émergeait, était celle que le salarié était certes un citoyen dans sa vie publique mais qu’il l’était tout autant dans sa vie professionnelle. De ce fait, un salarié quand il pénètre dans l’entreprise ne peut donc renoncer à ses droits fondamentaux.
L’article L1121-1 du Code du travail dispose que « Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché. »
De ce texte une idée forte émerge, celle qu’on ne peut porter atteinte aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives sauf toutefois, lorsque l’atteinte est justifiée par la nature de la tâche à accomplir.
Existe-t-il réellement une frontière entre vie personnelle et professionnelle ?
La notion de vie personnelle est un concept que la jurisprudence n’a jamais réellement défini. Cependant, les auteurs de doctrine tel que Philippe Vaquet ont tenté de la définir précisément.
Selon lui, la vie privée comprend 3 éléments :
- La vie privée « stricto sensu » : par exemple, la liberté de se vêtir, la vie familiale, le droit à l’image … etc
- Les libertés civiles : la liberté de consommer, la liberté de se marier, d’avoir des enfants … ect
- L’exercice de la citoyenneté : Tel que la liberté d’expression, d’opinion, de religion … etc
Toutefois, même si une définition de la vie privée a été posé, qu’en est-il du cadre juridique de celle-ci dans les relations de travail ?
Ainsi, c’est à partir de 1997, soit un peu plus d’une vingtaine d’années que l’on voit réellement apparaître le concept de vie personnelle dans le cadre du travail.
En effet, c’est dans un arrêt de la Cour de cassation (plus haute juridiction française) en date du 16 décembre 1997 que l’on voit naître la notion de vie privée. La haute juridiction avait estimé que « le fait imputé au salarié relevant de sa vie personnelle ne pouvait constituer une faute. » Dans cette affaire il était question d’un salarié Clerc de notaire qui, dans le cadre de sa vie privée, hébergeait un étranger en situation irrégulière. Il fut alors condamné par le tribunal correctionnel dont les faits ont été publiés au journal de la ville. A la suite de cela, son employeur a décidé de le licencier pour faute. Or la Cour répond par la négative, en effet, le fait échappant au champ contractuel à savoir n’entrant pas dans le cadre du contrat de travail, il n’y avait donc pas de violation de ce dernier et le licenciement était jugé sans cause réelle et sérieuse.
Quels sont les moyens utilisés permettant de rattacher un fait commis dans le cadre de la vie personnelle à la vie professionnelle ?
Il va de soi, que dès lors qu’un salarié commet une faute dans le cadre de sa vie personnelle, il ne peut se la voir reprocher par son employeur et cela pour la simple et bonne raison, comme nous le rappelle l’article 9 du Code civil que « Chacun a droit au respect de sa vie privée. »
Toutefois, il existe une complexité, en effet, il n’est pas sans savoir qu’un fait même commis dans la vie personnelle du salarié peut engendrer des répercussions sur la vie professionnelle de son entreprise, soit, car les faits commis se rattachent directement à sa vie professionnelle soit parce qu’ils caractérisent un manquement à ses obligations contractuelles.
Ainsi, les juges vont utiliser trois indices permettant de démontrer si un fait commis dans le cadre de la vie privée du salarié se rattache suffisamment à sa vie professionnelle.
- Les moyens de l’entreprise : Exemple, un salarié qui travaille dans une banque, dans le cadre de sa vie personnelle il commet une escroquerie, à savoir il utilise les informations bancaires de ses clients pour détourner de l’argent. Ici, le fait est certes commis dans le cadre de sa vie personnelle, mais les moyens utilisés sont ceux de l’entreprise, le fait se rattache donc suffisamment à la vie professionnelle.
- Le lieu de travail : Autre exemple, le comité d’entreprise organise un pot de départ en dehors du temps de travail au sein de ses locaux, un employé attaque un collègue, les faits se sont certes déroulés en dehors du temps de travail, mais dans les locaux de l’entreprise. Donc ce fait se rattache bel et bien à la vie professionnelle.
- Les fonctions du salarié : Exemple, chauffeur poids lourd, en dehors de son temps de travail et avec son véhicule personnel, se fait contrôler positif à un alcootest, il perd son permis. Le fait est comme les autres commis en dehors de son temps de travail, mais il se rattache à sa vie professionnelle et ce car, sans son permis il ne peut plus exécuter son contrat de travail. Par conséquent, il a failli à ses obligations contractuelles.
Un employeur peut-il licencier son salarié dès lors que ce dernier a commis un fait dans sa vie personnelle ?
Vous l’aurez compris, par principe, un employeur ne peut licencier son salarié pour un fait tiré de sa vie personnelle, en effet, il bénéficie d’une immunité disciplinaire.
Toutefois, il existe deux exceptions où le licenciement peut être admis :
- Dès lors que le fait cause un trouble objectif à l’intérêt de l’entreprise : Comme expliqué au-dessus, un fait commis dans le cadre de la vie privée ne peut aboutir à un licenciement, cependant il peut arriver que le fait commis dans le cadre de la vie privée perturbe le bon fonctionnement de l’entreprise. L’employeur devra ainsi démontrer que le comportement du salarié à « gêné » le bon fonctionnement de l’entreprise, à savoir que le trouble ait perdurer dans le temps. Si le trouble objectif est caractérisé, le licenciement sera admis. C’était le fait par exemple pour un agent de surveillance d’une entreprise de gardiennage, d’avoir commis un vol à l’étalage au préjudice d’un client en dehors de ses heures de travail (Cass.soc., 20 novembre 1991, n° 89-44.605).
- Dès lors que le fait constitue une faute disciplinaire : Même principe, normalement un employeur ne peut licencier son salarié pour un fait commis dans le cadre de sa vie privée, sauf si toutefois, ce dernier à violer ses obligations figurant dans son contrat de travail. Exemple, un salarié travaillant comme steward pour une compagnie aérienne et dont la fonction est d’accueillir et veiller à la sécurité des passagers. Pendant une escale, soit dans le cadre de sa vie personnelle, il consomme des stupéfiants. A sa reprise de poste, il passe un test qui se révèle positif, par conséquent il fut licencié pour faute grave car il a violé ses obligations contractuelles à savoir veiller à la sécurité des passagers (Cass.Soc., 22 septembre 2012).
Quelle juridiction saisir en cas de litige ?
Ainsi, si vous avez un litige avec votre employeur concernant un fait commis dans le cadre de votre privée, vous devez saisir le Conseil des Prud’hommes. En effet cette juridiction permet de régler les litiges nés des relations employeurs/salariés.
Article écrit par: Océane LEBRIEZ (Arques) Etudiante en licence 3 (licence de droit) à l’université de Lille 2
Stagiaire* de Maitre Juliette Clerbout, Avocat au Barreau de Saint-Omer
*Si vous êtes également étudiant en droit (notamment en droit du travail ou en droit de la famille) et que vous désirez effectuer un stage au sein du cabinet d’avocat de Maitre Juliette Clerbout (Avocat au Barreau de Saint-Omer) n’hésitez pas à nous faire parvenir une lettre de motivation et un curriculum vitae.
Laisser un commentaire